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Dbeibeh joue à quitte ou double : partie serrée pour l’Égypte dans le bourbier libyen

Août 16, 2024 #Dbeibeh, #Egypte, #Libye, #sahelmedia
Dbeibeh joue à quitte ou double : partie serrée pour l’Égypte dans le bourbier libyenpartie serrée pour l’Égypte dans le bourbier libyen

I.M.Amine

Analyste politique

Tripoli a expulsé deux diplomates et ouvert une crise avec l’Egypte. En choisissant de faire face au Caire, Dbeibeh a choisi la confrontation, et c’est là une arme à double tranchant.

Pour Dbeibeh, c’est quitte ou double face à son puissant voisin de l’est: puisque vous soutenez Haftar et ses marionnettes, moi je ne vous reconais pas non plus comme interlocuteur légitime.

En effet, le conseiller de l’ambassade Adel Mohamed Hosni et le deuxième secrétaire Mohamed Mamdouh Mustafa al Sherbiny sont accusés de mener des activités de renseignement préjudiciables aux intérêts de l’État

L’expulsion de deux diplomates de l’ambassade égyptienne à Tripoli a déclenché une nouvelle crise diplomatique entre la Libye et l’Égypte, accentuant encore les tensions déjà existantes entre les administrations rivales de l’est et de l’ouest du pays. Le gouvernement d’union nationale (Gun) à Tripoli, dirigé par le premier ministre Abdulhamid Dabaiba, a donné au conseiller de l’ambassade 72 heures pour quitter le pays Adel Mohamed Hosni, de même qu’au deuxième secrétaire Mohamed Mamdouh Mustafa à Sherbiny.

Tous deux sont accusés d’avoir mené des activités de renseignement préjudiciables aux intérêts de l’État. Cette décision fait suite à la visite officielle du chef du Gouvernement libyen de stabilité nationale (GSN) basé à Benghazi, Oussama Hamad, au Caire, en Égypte, où il a été accueilli par le Premier ministre égyptien Mustafa Madbouly.

Cette réunion, à laquelle il était également présent Belgassem Haftar, directeur du Fonds de Reconstruction et l’un des fils du général Khalifa Haftar, a suscité de vives protestations de la part de Gun, le gouvernement Hammad n’étant pas reconnu internationalement.

Dbeibeh joue son va-tout

Dans une réaction qui semble directement liée à l’expulsion du personnel de l’ambassade égyptienne, le gouvernement de l’est de la Libye a appelé tous les pays étrangers à déplacer leurs ambassades et leurs institutions diplomatiques internationales de Tripoli à Benghazi.

Le GSN a justifié cette demande en invoquant les conditions de sécurité précaires dans la capitale. Il s’agit des violents affrontements entre groupes armés qui ont éclaté ce week-end dans le quartier de Tajoura, à l’est de Tripoli, et qui ont fait neuf morts et seize blessés.

Dans un communiqué officiel, le gouvernement Hammad a exprimé sa surprise face aux actions et déclarations du gouvernement d’unité nationale suite à sa visite en Égypte. « Nous apprécions le rôle des autorités égyptiennes et leur présence solidaire dans le renforcement des relations entre nos deux pays, en nous rencontrant et en discutant d’un certain nombre de questions communes », indique le communiqué.

Pour Dbeibeh, c’est quitte ou double face au Caire, qui va travailler avec Haftar à sa chute. Attendez-vous à ce que plusieurs événements écuritaires vont être opérés pour fragilier le gouvernement de Tripoli. Acteur majeur en Libye, l’Egypte va mener des opérations de destabilisation « intra-muros », c’est-à-dire en Libye même, pour évincer Dbeibeh et mettre Haftar sur le trône.

Toutefois, si Dbeibeh résite il aura gain de cause et pourrait passer pour un véritable chef. Mais là encore, comme pour Haftar, tout dépendra de ses soutiens internationaux.

Une question lancinante se pose poour Dbeibeh: où est passé l’allié turc? Où sont ses drones? Y a-t-il eu « deal » entre Ankara et le Caire pour un partage des intérêts?

Les prochaines semaines vont nous apporter des réponses cinglantes sur ce dossier encore tenu au secret…

Les intérêts de l’Egypte en Libye

Pour l’Égypte, la Libye est un enjeu à multiples facettes. Le pays s’inscrit dans sa sphère d’influence régionale et peut représenter un risque de nature sécuritaire, en raison d’une longue frontière commune.

Sur le plan économique, Le Caire a besoin des emplois que son riche voisin a longtemps assurés à nombre de travailleurs égyptiens, et lorgne sur le marché de la reconstruction, après les dégâts provoqués par la guerre civile et plus récemment par les inondations de Dernah.

L’arrivée de la Turquie sur le terrain libyen va rebattre les cartes. L’échec de l’offensive conduite par les forces affiliées à Khalifa Haftar contre la capitale en avril 2019 est notamment attribuée à l’aide logistique apportée par Recep Tayyip Erdoğan aux forces de l’ouest. La coopération entre Ankara et Tripoli s’accroit rapidement et s’étend au domaine économique. La redéfinition des frontières maritimes en Méditerranée et la signature de contrats pour l’exploitation et le transport des hydrocarbures sont mis en jeu par les Turcs dans le cadre d’un rapprochement avec Tripoli, au grand dam de l’Égypte.

Le 20 juin 2020, Le Caire menace ainsi d’intervenir militairement en Libye si les forces alliées à Tripoli viennent à franchir la ville côtière de Syrte décrétée comme la « ligne rouge » à ne pas franchir. Le directeur des services de renseignements généraux égyptien, Abbas Kamel, se rend plusieurs fois en Libye au cours de l’année 2021 pour discuter du retrait des forces étrangères du territoire et, en particulier, des troupes turques et des mercenaires syriens combattant à leurs côtés.

En septembre 2023, le déferlement de la tempête Daniel dans l’est et les inondations dévastatrices qui s’en suivent révèlent au monde entier les conséquences de la crise de gouvernance libyenne. L’Égypte est parmi l’un des premiers pays à contribuer à l’aide humanitaire internationale dans la région sinistrée et envoie sur place son chef d’état-major égyptien, Osama Askar, pour échanger directement avec les autorités locales et superviser les secours.

Quelques jours après les inondations, le gouvernement de l’Est annonce l’organisation d’une conférence internationale pour la reconstruction de la région et invite les grandes puissances et les fonds monétaires et financiers internationaux à y participer. Les contrats sont estimés à plusieurs centaines de milliards de dollars. En concurrence avec la Turquie et les Émirats arabes unis, l’Égypte a dépêché rapidement une délégation de représentants d’entreprises de BTP auprès du premier ministre du gouvernement de l’Est et du président du Comité de reconstruction et de stabilisation de Benghazi. Les acteurs dans ce secteur anticipent sur la saturation du marché égyptien et visent déjà d’autres pays de la région à reconstruire : Irak, Syrie. Préalable indispensable aux ambitions économiques de l’Égypte, la stabilisation de la région permettrait aussi le retour de travailleurs égyptiens en Libye, estimés à plus d’un million avant 2014, ainsi que le développement de grands axes commerciaux et industriels transfrontaliers entre la ville de Marsa Matrouh et la Cyrénaïque

Dans le jeu mouvant des recompositions régionales

Sous ses airs de « guerre par procuration », le conflit semble davantage répondre à des logiques conjoncturelles et opportunistes plutôt qu’à de grands principes idéologiques clairement définis. Pour les acteurs locaux et régionaux, il s’agit surtout d’établir des relais pour faire valoir leurs intérêts à la fois politiques et économiques.

En ce sens, on observe l’évolution de l’environnement stratégique vers une plus grande fluidité des alliances laissant entrevoir le dépassement de certains clivages : le réchauffement des relations turco-émiraties, la réintégration du Qatar dans le jeu régional, le rapprochement de plusieurs pays arabes avec les grands ennemis d’antan comme Israël et l’Iran, etc.

À l’échelle des relations égypto-libyennes, le soutien du Caire au gouvernement parallèle formé par Fathi Bachagha est un exemple de ces reconfigurations : cet ancien ministre de l’intérieur du GAN, leader milicien de Misrata (berceau des révolutionnaires et de plusieurs groupes islamistes) et réputé proche des Frères musulmans, a finalement passé des accords avec ses anciens rivaux de l’Est, Aguilah Saleh et le clan Haftar, pour se positionner politiquement.