Fayçal Oukaci
Journaliste, rédacteur en chef
spécialisé dans les questions de sécurité
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Un rapport interne anticipe une dégradation de la situation sécuritaire dans la région. Voilà pourquoi la DGSE ne quittera pas le Sahel
Après avoir livré à la lecture un rapport émis par les principaux services de sécurité français au président de l’Assemblée nationale française, nous donnons aujourd’hui, lecture d’un travail interne sur la vision de la Direction générale de la sécurité extérieure sur l’Afrique de manière générale, et le Sahel, particulièrement.
Le travail accompli, les échecs essuyés, les objectifs tracés, ainsi eu les prévisions imaginées renseignent sur une feuille de route qui garde toujours l’espoir de retourner au Sahel bientôt, un retour « avec les honneurs », pour effacer l’éviction dans la douleur des principaux pays de la région allant de la Mauritanie à la Corne d’Afrique, en passant par le Mali, le Niger, le Faso, le Tchad, le Soudan, etc.
La DGSE ne quittera pas le Sahel…
Selon ce rapport de « la Piscine », remis au président de l’Assemblée nationale française sur le plan général de la DGSE, il est souligné que « les risques et les menaces sécuritaires en Afrique sont de trois ordres et s’interpénètrent. Ce sont le terrorisme, la déstabilisation politique et les risques qu’elle fait peser sur la paix civile dans les États concernés, les ingérences étrangères particulièrement hostiles à nos intérêts (des Français, ndlr). Le continent est en effet devenu le théâtre d’une compétition féroce entre les démocraties et des puissances autoritaires qui remettent en cause l’ordre international, Wagner, mais aussi le piège de la dette chinoise qui encourage la mauvaise gouvernance.
« S’agissant du contre-terrorisme, il faut souligner, dit le rapport de la DGSE, le bilan positif de la lutte menée par la France au regard des objectifs assignés, et les services ont joué un rôle déterminant. Cette lutte doit continuer à nous mobiliser, sous des formes différentes. Les opérations conduites par les forces françaises au Sahel, souvent sur renseignements de la DGSE et de la DRM, ont permis la réduction drastique des actions terroristes contre les intérêts occidentaux, empêché la création d’un sanctuaire d’Al-Qaïda susceptible de devenir un lieu de projection de la menace sur le territoire français et profondément affaibli Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il en est résulté qu’aucune attaque meurtrière contre les intérêts occidentaux n’a été perpétrée en Afrique occidentale depuis 2018, ni en Europe depuis l’Afrique.
« Malheureusement, les difficultés politiques et économiques qui ont fait le terreau de l’expansion des groupes djihadistes ne pouvaient pas être résolues par la seule action militaire, et les gouvernements sahéliens n’ont pas voulu ou pas pu traiter les problèmes qui étaient et qui sont toujours de leur ressort. Le renseignement de la DGSE visait à entraver des structures et des réseaux menaçant nos intérêts, non à conduire une action globale de contre-insurrection.
« Ces groupes prospèrent également en raison de certains mauvais choix. Ainsi, au Mali, les exactions commises par les miliciens de Wagner ne font qu’élargir le fossé entre l’État et certaines franges de la population, les communautés peule ou touareg. Étant donné les déficiences des armées locales et de programmes politiques qui délaissent la lutte antiterroriste, nous anticipons une dégradation rapide de la situation sécuritaire en Afrique, devenue l’épicentre du djihad mondial en raison du relatif affaiblissement des centrales terroristes dans la zone syro-irakienne et dans le sanctuaire afghan, même si ces structures restent très menaçantes.
Trop d’intérêts en jeu…
« Aussi peut-on craindre la reprise des opérations contre les capitales sahéliennes et l’instauration d’émirats territorialisés dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, et le risque, plus crédible encore à terme, de projection de la menace vers le Maghreb et l’Europe en raison du regain d’attractivité du djihad sahélien et de l’impossibilité pour les volontaires de rallier le théâtre irako-syrien.
« Notre service intensifie ses efforts de recrutement de sources au cœur des cibles pour être en mesure de prévenir aussitôt que possible les menaces qui viseront nos intérêts dans la région. En parallèle, nous demeurons particulièrement vigilants sur l’anticipation et le suivi des crises politiques qui peuvent constituer une menace sécuritaire comportant éventuellement une dimension terroriste ».
Quatre choses essentielles à retenir dans ce rapport :
1-le renseignement de la DGSE vise à entraver des structures et des réseaux menaçant les intérêts français ;
2-la DGSE anticipe une dégradation rapide de la situation sécuritaire en Afrique, devenue l’épicentre du djihad mondial en raison du relatif affaiblissement des centrales terroristes dans la zone syro-irakienne ;
3-crainte de la reprise des opérations contre les capitales sahéliennes et l’instauration d’émirats territorialisés ;
4-Recrutement de la part des services secrets de la DGSE de « sources » au cœur des cibles, c’est-à-dire de personnes choisies dans les espaces mêmes surveillés et qui seront (ils sont déjà) sur place en tant que terroristes, intermédiaires ou éléments censés donner la chasse aux terroristes.