• jeu. Sep 19th, 2024

Sahel Media

L'oeil qui ne se ferme jamais sur la triple région maghrébo-saharo-sahélienne

Le 4 août 1984, la République de Haute-Volta est renommée Burkina Faso: il était une fois Thomas Sankara

il était une fois Thomas SankaraLe 4 août 1984, la République de Haute-Volta est renommée Burkina Faso

 

Il y a 40 ans, le 4 août 1984, la République de Haute-Volta est renommée Burkina Faso par Thomas Sankara, le premier président burkinabé.

Il a voulu le changement du nom de la Haute-Volta issu de la colonisation en un nom issu de la tradition africaine : Burkina Faso, qui est un mélange de moré et de dioula et signifie « pays [ou « patrie »] des hommes intègres / honnêtes ».

Le souvenir de Sankara reste vivace dans la jeunesse burkinabé mais aussi plus généralement en Afrique, qui en a fait une icône, un « Che Guevara africain », aux côtés notamment de Patrice Lumumba.

Qui était Thomas Sankara?

Thomas Isidore Noël Sankara est fils d’un père Peul — originaire du village de Sitoèga dans le département de Bokin dans la province du Passoré — et d’une mère mossi, et grandit entre valeurs militaires et religiosité chrétienne.

Il fait ses études secondaires d’abord au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville et capitale économique du pays puis, de la seconde au baccalauréat, à Ouagadougou (capitale politique du Burkina), au Prytanée militaire de Kadiogo. Durant ses études, il côtoie des fils de colons. Il sert la messe mais refuse d’entrer au séminaire.

Il suit, tout comme Blaise Compaoré, une formation d’officier à l’École militaire inter-armes (EMIA) de Yaoundé au Cameroun, puis à l’Académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar (où il étudie les sciences politiques, l’économie politique, le français et les sciences agricoles), et devient en  commandant du CNEC, le Centre national d’entraînement commando, situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale.

La même année, ils prennent part à un stage d’aguerrissement au Maroc. Ensemble, ils fondent le Regroupement des officiers communistes (ROC) dont les autres membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore, Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Boukary Lingani.

Révolutionnaire et aimé du peuple

Durant ses études à Madagascar, il assiste en  à la révolution qui conduit à la fin du régime de Philibert Tsiranana. Cela l’amène à concevoir l’idée d’une « révolution démocratique et populaire ». De retour en Haute-Volta en  avec le grade de sous-lieutenant, il est affecté à la formation des jeunes recrues. Il s’y fait remarquer par sa conception de la formation militaire dans laquelle il inclut un enseignement sur les droits et les devoirs du citoyen, insistant sur la formation politique des soldats : « sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance », a-t-il coutume de dire. En , il s’illustre militairement lors de la guerre avec le Mali, ce qui lui donne une renommée nationale. Capitaine, il crée ensuite une organisation clandestine avec d’autres officiers, se rapproche de militants d’extrême gauche et fait de nombreuses lectures.

À la fin des années  et au début des années , la Haute-Volta connaît une alternance de périodes autoritaires et de démocratie parlementaire. Les personnalités politiques sont coupées de la petite bourgeoisie urbaine politisée, et cette scission est renforcée par des scandales financiers. Cela amène de jeunes officiers ambitieux et désireux de moderniser le pays comme Thomas Sankara à s’investir en politique, se posant en contraste avec des hommes politiques plus âgés et moins éduqués. Un coup d’État militaire a lieu en  mais le nouveau régime, bien que populaire, se montre rapidement répressif et lie l’armée à des scandales.

Thomas Sankara ne participe pas au coup d’État mais ne s’y oppose pas non plus. Populaire, il est nommé en  secrétaire d’État à l’Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo avant de démissionner en réaction à la suppression du droit de grève, déclarant le , en direct à la télévision : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ». Il est alors dégradé et chassé de la capitale.

Le , un nouveau coup d’État porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Plus tard, ce dernier assurera que le coup d’État avait été préparé au seul profit de Thomas Sankara mais que ce dernier avait décliné l’offre au dernier moment. On l’avait donc choisi, contre son gré, parce qu’il était l’officier le plus ancien dans le grade de commandant.

Sankara devient Premier ministre en  d’un Conseil de salut du peuple (CSP), position acquise grâce au rapport de forces favorable au camp progressiste au sein de l’armée. Il se prononce ouvertement pour la rupture du rapport « néocolonial » qui lie la Haute-Volta à la France : « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. L’impérialisme qui nous regarde est inquiet. Il tremble. L’impérialisme se demande comment il pourra rompre le lien qui existe entre le CSP [le gouvernement] et le peuple. L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’ici à Ouagadougou, nous allons l’enterrer ». Il poursuit sur cette ligne en invitant, en avril, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Le , il est limogé et mis en résidence surveillée, peut-être sous la pression de la France.

Coup d’État et révolution démocratique et populaire

Des manifestations populaires soutenues par les partis de gauche et les syndicats contraignent le pouvoir à libérer Sankara. Le , la garnison insurgée de Pô arrive à Ouagadougou accompagnée d’une foule en liesse. Ce nouveau coup d’État consacre la victoire de l’aile « progressiste » de l’armée menée par le capitaine Thomas Sankara, qui est placé à la présidence du Conseil national révolutionnaire. Il constitue un gouvernement avec le Parti africain de l’indépendance (en) et l’Union des luttes communistes – reconstruite (ULC-R).

Il déclare que ses objectifs sont : « Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir.

Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que, sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance ». Il s’entoure de cadres compétents, défend la transformation de l’administration, la redistribution des richesses, la libération des femmes, la responsabilisation de la jeunesse, la décentralisation, la lutte contre la corruption, etc. Le , la République de Haute-Volta est renommée Burkina Faso.

Tué sur ordre de Blaise Compaoré, l’homme de la France

Dans ce contexte, les relations entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara se dégradent à partir de , à un point tel que les deux hommes ne se parlent plus ; deux clans rivaux se forment. La veille de l’assassinat de Sankara, le Conseil des ministres adopte un projet de loi créant une brigade de police « anti-coup d’État » (FIMATS), ce que le camp de Compaoré perçoit comme une menace à son encontre.

En fin d’après-midi du , Thomas Sankara et six membres de son cabinet sont réunis dans une salle du Conseil de l’entente à Ouagadougou. L’objet de la réunion concerne la création d’un parti politique unique de gauche afin de contrer l’émergence des contestations.

Dès le début de la réunion, un commando militaire fait irruption dans le bâtiment en décimant la garde rapprochée de Sankara puis parvient à la salle de réunion où il donne l’ordre aux occupants de sortir. D’après le témoignage du seul survivant, le conseiller à la présidence Alouna Traoré, Thomas Sankara sort le premier, les mains en l’air, en disant aux membres du cabinet : « Ne bougez pas, c’est de moi qu’ils ont besoin » ; puis il est abattu par les assaillants. Les autres membres subissent le même sort, sauf Traoré qui est conduit dans une autre salle où il retrouve d’autres collègues.

Outre Thomas Sankara, douze personnes sont assassinées.