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Sahel Media

L'oeil qui ne se ferme jamais sur la triple région maghrébo-saharo-sahélienne

Libye: une bombe à retardement nommée Khalifa Haftar

Haftar, pour qui roule-t-il?Un profil inquiétant

Fayçal Oukaci

Journaliste, spécialiste des questions de sécurité

(art. rédigé le 6, mis à jour le 9 août 2024, à 23h27)

Des soldats du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, font route en direction de zones du Sud-Ouest contrôlées par le gouvernement rival installé à Tripoli et reconnu par l’ONU, créant de vives tensions avec les pays voisins, la Tunisie, mais surtout l’Algérie, qui n’a jamais observé d’un bon oeil les menées suspectes et dangereuses du maréchal.

« L’adjoint du chef d’état-major (…) a donné des instructions aux unités de l’armée d’être en état d’alerte et d’être prêtes à repousser toute éventuelle attaque » dans le Sud-Ouest, a annoncé une source de l’état-major des forces du « gouvernement d’union nationale » (GUN) à la chaîne Libya Al-Ahrar. La chaîne privée avait rapporté dès mercredi 7 août que des forces pro-Haftar « se dirigeaient vers le Sud-Ouest » libyen, sans donner d’autres précisions.

Le Haut Conseil d’Etat (HCE) dit « suivre avec grande inquiétude les mobilisations militaires des forces d’Haftar dans le Sud-Ouest ces deux derniers jours, visant clairement à renforcer son influence et étendre son contrôle sur des zones stratégiques communes avec nos voisins »« Ces mouvements [de troupes] sont susceptibles de nous renvoyer aux affrontements armés et sont une menace directe pour le cessez-le-feu » de 2020, sapant tout « effort visant à réunifier l’institution militaire » et causant « l’effondrement du processus politique », dit le HCE dans un communiqué.

Des menées militaires dangereuses pour la région

Selon d’autres analystes et des médias locaux, l’objectif de cette mobilisation est la prise de l’aéroport de Ghadamès, à 650 kilomètres au sud-ouest de Tripoli, actuellement sous contrôle du GUN. La prise par les forces pro-Haftar de Ghadamès, zone stratégique à l’intersection des frontières de la Libye avec l’Algérie et la Tunisie, marque la rupture du cessez-le-feu de 2020.

Le contrôle de Ghadamès aurait « plusieurs avantages » pour le camp Haftar : « Empêcher tout mouvement des partisans [d’Abdel Hamid] Dbeibah vers le sud, isoler Dbeibah et retirer à Imad Trabelsi [son ministre de l’intérieur] l’atout précieux » du contrôle de cette zone frontalière, selon des experts.

Les forces d’Haftar « convoitent depuis plusieurs années » l’aéroport de Ghadamès et ses alentours, car son contrôle « renforcerait de manière notable la donne territoriale d’Haftar face à l’Algérie, à la Tunisie et au Niger ». Le camp de l’Est aurait ainsi le contrôle sur tout le Sud, d’est en ouest.

Les forces que dirige Saddam Haftar, fils du maréchal Haftar, ont annoncé mardi dernier, par communiqué, une « opération globale » visant officiellement à « sécuriser les frontières sud du pays et à renforcer la stabilité du pays dans ces zones stratégiques », ainsi que le « déploiement de patrouilles (…) pour surveiller la bande frontalière avec les pays voisins ».

Minée par les violences fratricides et les divisions depuis la chute et la mort du dictateur Mouammar Kadhafi, la Libye est gouvernée par deux exécutifs rivaux : l’un à Tripoli, dans l’Ouest, dirigé par Abdel Hamid Dbeibah ; l’autre dans l’Est, incarné par le Parlement et affilié au maréchal Haftar, dont le fief se trouve à Benghazi.

Khalifa Haftar, avec le soutien militaire d’alliés étrangers (Russie, Egypte et Emirats arabes unis), avait lancé une offensive brutale, d’avril 2019 à juin 2020, pour s’emparer de Tripoli. Il avait été stoppé in extremis en périphérie de la capitale par les forces du GUN, appuyées par la Turquie. La Libye est bordée par le Soudan au sud-est, le Tchad au sud, le Niger au sud-ouest, l’Algérie à l’ouest et la Tunisie au nord-ouest.

Pourtant, Haftar n’est plus dans les bonnes graces des Etats Unis depuis logtemps. En effet, Haftar, ex-soutien des Occidentaux, est coupable, selon les tribunaux américain de crimes de guerre. D’où son ralliement à la Russie depuis quelques temps.

Aujourd’hui, toute solution politique est bloquée par le maréchal Khalifa Haftar, et même si, dans les discussions, il y a trois jours, entre le ministre des Affaires étrangères algérien, Ahmed Attaf, et Stephanie Khoury, chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (UNSMIL), qui effectue une  visite officielle en Algérie, son nom n’a pas été évoqué, son fantôme a plané sur le tête-à-tête.

À l’issue de sa rencontre avec le chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (UNSMIL), Attaf a déclaré que cette rencontre a été l’occasion d’être informé des efforts et tentatives déployés par les Nations unies pour faire avancer le processus politique de règlement de la crise libyenne, efforts et tentatives auxquels l’Algérie apporte son soutien total, illimité et inconditionnel, tant à partir de sa position de membre non permanent du Conseil de sécurité qu’à partir de ses multiples positions au sein des différents groupements et organisations régionales, à leur tête l’Union africaine (UA).

Attaf a, également, réitéré le soutien et la confiance de l’Algérie à l’Organisation des Nations unies (ONU) dans sa compétence et sa capacité à réaliser l’objectif recherché, notant que la crise libyenne vient de franchir sa treizième année, et qu’au fur et à mesure, ses complexités et les perspectives d’une solution politique s’accroissent également.

Un épouvantail nommé Khalifa Haftar

Pour l’Algérie le problème principal demeure le parasitage des solutions proposées et les interférences des puissances étrangères. Ainsi, Alger lance un appel à toutes les parties étrangères pour qu’elles lèvent la main sur les affaires libyennes et mettent fin aux politiques, pratiques et comportements qui alimentent la division, sèment la discorde et creusent le fossé entre les fils d’un même pays et d’une même nation.

En outre, Ahmed Attaf a souligné que la fin de ces interventions aura un impact significatif sur la capacité des frères libyens à surmonter les tensions et les polarisations actuelles et à trouver un terrain d’entente permettant à chacun de contribuer à un processus libyen-libyen qui tournera la page sur les différends, pansera les plaies et mettra fin à la crise une fois pour toutes.

Homme-lige à l’agenda indéfini et non libyen

Khalifa Haftar, le plus important seigneur de guerre de Libye, qui, avant de prendre part à la guerre civile libyenne, était le pion de la CIA, a ordonné à ses troupes de commettre des crimes de guerre selon deux juristes américains.

Khalifa Haftar a investi son fils Saddam de beaucoup de pouvoirs, dont ceux de l’état-major de l’armée de Benghazi et de plénipotentiaire; sa récente visite au Burkina Faso, où il a été reçu par la capitaine Traoré sème le doute sur les intentions extra-libyennes du maréchal.

Les derniers mouvements militaires de Haftar ont également objectif de mettre l’Algérie sous pression. Et ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte. En juin 2021, rappelez-vous en, la milice du général à la retraite Khalifa Haftar a déclaré la frontière avec l’Algérie « zone militaire fermée », à l’issue du lancement par Haftar d’une opération militaire dans le sud de la Libye, pour traquer selon ses dires les « terroristes takfiristes ».

La chaîne « Libya Al-Hadath » a rapporté que la milice de Haftar a déclaré la frontière avec l’Algérie « zone militaire fermée » dans laquelle les déplacements sont interdits. La chaîne (partisane de la milice de Haftar) avait publié des images montrant le déploiement d’un grand nombre de véhicules et de pick-ups armés de mitrailleuses de la « 128e brigade », relevant de la milice de Haftar, mobilisée à la frontière libyo-algérienne, alors que le site « Eanlibya » avait également rapporté que des hommes armés de la milice de Haftar ont pris le contrôle d’un poste frontalier avec l’Algérie.

Réputation en berne

Aujourd’hui, celui qui veut prendre Tripoli par la force, a la réputation en berne, en tant que commandant militaire, après avoir été mis à mal par deux juristes US renommés, le professeur Ryan Goodamn, ancien conseiller spécial du Conseil général du Département de la Défense US et Alex Whiting, professeur de droit à l’Université de Harvard ayant servi comme procureur général international à la Cour Internationale de Justice.

Ils ont publié ensemble un rapport sur le blog de  « Just Security », associé à plusieurs institutions, dont l’Ecole de Droit de l’Université de New York. Ils déclarent qu’Haftar a publiquement pressé ses troupes de commettre des crimes de guerre à plusieurs reprises. Leur référence est une vidéo qui contient un débriefing d’Haftar,  en septembre 2015, avec les commandants de la LNA, leur recommandant de ne pas faire de prisonniers. Dans une transcription de ce discours, on le voit dire à son audience « Ne vous attardez pas à faire des prisonniers. Il n’y a aucune prison ici ». Les deux juristes expliquent cette position comme « déni de quartier » « qui est un principe bien établi des lois de la guerre ». Dans une autre vidéo, d’août 2016, Beleed al Sheikhy, porte-parole de la LNA, y est vu au rapport devant des commandants à propos d’une bataille proche à Gandoufa, un quartier sud du port de Benghazi, disant «  tout individu de plus de 14 ans ne sortira pas de (Gandoufa) vivant ». Et il ajoute « Prenez cela comme une instruction confirmée ».

Un rapport publié par les Nations unies suggère que la principale raison des succès de la LNA repose sur le soutien qui lui est accordé par les Emirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite.

Un journal britannique assure qu’Haftar a tenu des réunions avec des officiels israéliens et des officiers du Mossad depuis 2105 qui lui ont fourni secrètement une aide  militaire dont des équipements de vision de nuit et autres fusils pour tireurs embusqués.

Selon Richard Silverstein (Middle East Eye), Israël s’est fait un nouvel ami en Afrique, le maréchal Haftar, qu’il aide en secret : « En effet,  une source israélienne bien informée – qui a souhaité garder l’anonymat, étant donné que l’affaire est censurée par les militaires israéliens – m’a révélé que les Forces de défense israéliennes (IDF) avaient bombardé des positions du groupe l’État Islamique Daesh en Libye à la demande de l’homme fort de ce pays, le maréchal Khalifa Haftar.

« Le censeur militaire des IDF a décidé que ces informations ne pouvaient pas être diffusées en Israël. Jusqu’à cette semaine, le censeur n’autorisait même pas les journalistes israéliens à renvoyer les lecteurs aux médias étrangers évoquant cette histoire. Récemment, Yediot Aharonot a publié un profil flatteur d’Haftar renvoyant à un article koweitien paru dans Al Jarida, qui confirmait ces informations. Aux termes des dispositions prévues par la censure israélienne, les journalistes, qui sont interdits d’écrire directement des reportages sur certains événements, s’arrangent souvent pour faire allusion aux mêmes événements via des publications étrangères, et ainsi contourner la censure.

« Un ami de nos amis »

« Haftar est aligné sur les États sunnites – l’Égypte et les Émirats arabes unis étant les plus notoires – que ces reportages accusent d’avoir bombardé des forces libyennes hostiles à Haftar. On appelle quelquefois ce dernier le « Sissi libyen ». La source israélienne m’a confirmé l’argument du journal koweitien, voulant qu’Israël ait offert son aide militaire directe en faveur de Haftar.

Pour que personne ne croie que les événements de 2015 ont changé, The New Arab indiquait que Haftar a rencontré des fonctionnaires du Mossad lors d’une réunion négociée par les Émirats arabes unis, l’un des alliés sunnites mentionné ci-dessus. « La coordination entre Haftar et Israël dure depuis longtemps ; il a organisé des pourparlers avec des agents du Mossad en Jordanie en 2015 et 2016 », a indiqué à The New Arab la source anonyme.

Le rapport prétendait que ces rencontres avaient été négociées par les EAU et que Haftar avait rencontré des agents du renseignement israélien. On y lit que l’autoproclamée Armée nationale libyenne de Haftar avait reçu des fusils israéliens pour snipers et des équipements de vision nocturne. Il a ensuite laissé entendre que le commandement de Haftar et les militaires israéliens se sont coordonnés, courant 2014, pendant l’offensive baptisée « Opération Dignité », contre plusieurs groupes d’islamistes armés à Benghazi.

Une alliance de plus en plus étroite entre Israël et États sunnites

Les analystes et les journalistes du Moyen-Orient ont régulièrement signalé l’intensification de l’alliance entre Israël et les puissances sunnites (Arabie saoudite, États du Golfe, Égypte, etc.). Entre autres services réciproques, les Saoudiens ont financé à hauteur d’un milliard de dollars (850 millions d’euros) le programme malveillant israélien, Stuxnet, et l’assassinat de scientifiques nucléaires iraniens. Israël a ouvert quant à lui des bureaux secrets de liaison militaire dans les États du Golfe, organisé des réunions secrètes entre chefs du renseignement israélien et Arabie saoudite, tout en apportant le soutien israélien aux forces d’al-Nosra. Bien que ces reportages se soient surtout concentrés sur l’intervention sunnito-israélienne en Syrie et l’hostilité de l’alliance envers l’Iran chiite, rares sont les articles expliquant qu’Israël offre ses services aux milices libyennes alliées avec l’Égypte.

Israël a toutes les bonnes raisons d’aider l’homme fort libyen. Premièrement, ses ressources pétrolières pourraient profiter à Israël, pays pauvre en ressources qui cherche sans cesse à diversifier son accès à des sources d’énergies vitales. Deuxièmement, Israël a une affinité naturelle avec les hommes forts du Moyen-Orient qui ont peu ou pas d’engagements religieux ou idéologiques (le Jordanien Abdallah, et les Égyptiens Moubarak et Sissi). Israël tient à s’entourer de voisins qu’il soit en mesure de coopter, soit carrément en les achetant, soit en se rendant des services réciproques, comme le partage du renseignement et de moyens militaires. Troisièmement, Israël apprécie sa relativement récente « romance de raison » avec les pouvoirs sunnites dans la région et saisit toutes les occasions de déverser ses faveurs sur ceux que soutiennent ses nouveaux alliés, dont Haftar.

De récents bulletins d’information indiquent que la Russie vient, elle aussi, de s’allier avec Haftar et de dépêcher des conseillers militaires dans ce pays, tant pour fortifier Haftar que pour empêcher l’EI de s’implanter dans la partie occidentale du désert égyptien, ainsi qu’il y est parvenu au Sinaï. Il a aussi lourdement investi dans des projets d’exploitation pétrolière en Égypte et Libye. Haftar, ancien allié de Kadhafi, a reçu son entraînement militaire dans l’ancienne Union soviétique et ses liens avec la Russie sont donc très étroits.