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Guerre d’influence russo-américaine dans une Libye livrée à la guerre fratricide

Août 30, 2024 #Africom, #Haftar, #Libye, #sahelmedia
Haftar et le commandant de l'AFRICOM discutent du renforcement de la coopération militaire en LibyeHaftar et le commandant de l'AFRICOM discutent du renforcement de la coopération militaire en Libye

I.M.Amine

Journaliste, analyste politique

 Haftar et le commandant de l’AFRICOM discutent du renforcement de la coopération militaire en Libye. En arrière-fond, une présence forte également de la Russie.

Dans le jeu complexe des alliances et des rivalités qui façonnent la Libye post-Kadhafi, la rencontre récente entre le maréchal Khalifa Haftar, leader de facto de l’Est libyen et le général Michael Langley, chef de l’Africom (Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique), est un événement qui mérite une attention particulière.

Pour les Etats Unis, il n’est pas question de laisser le champ libre à la Russie en Libye; pour Haftar, il s’agit de se donner plus de légitimité avec cet appui américain de dernière minute; d’autres puissances sont en lice: les Emirats, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Italie, la Grande Bretagne, la France, la Turquie et…Israël. Au moins dix puissances aux intérêts divergents en Libye.

L’Algérie, qui a toujours privilégié une solution inter-Libyens inclusive, observe d’un bien mauvais oeil les menées souterraines qui vont encore rallonger la vie de la crise.

  Le général Michael Langley du commandement américain pour l’Afrique et le chargé d’affaires Jeremy Berndt ont récemment rencontré le commandant de l’armée nationale libyenne, Jalifa Haftar, afin de réitérer l’engagement des États-Unis en faveur de la stabilité et de la sécurité dans ce pays.

En Libye, la guerre de sous-traitance

À cette fin, les États-Unis ont exhorté toutes les parties prenantes libyennes à s’engager de manière constructive dans le dialogue, avec le soutien de la Mission de soutien des Nations unies en Libye (UNSMI) et de la communauté internationale, selon un communiqué.

Au cours de la réunion, la partie américaine a souligné son soutien aux « efforts libyens visant à protéger la souveraineté de la Libye à la lumière des défis régionaux en matière de sécurité », insistant sur l’importance du maintien de la stabilité dans le pays et de la désescalade dans le contexte des tensions actuelles.

Haftar, pour sa part, a souligné le développement de relations amicales entre le commandement général et les États-Unis, en insistant sur l’importance de renforcer la coordination et la coopération conjointe dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme.

« La réunion a mis l’accent sur l’importance de développer le partenariat entre les deux pays afin de servir des objectifs et des intérêts communs et d’échanger des expériences dans les domaines militaire et de la sécurité  »

Des déclarations américaines qui en disent long

Langley a salué « le rôle clé joué par le commandement général dans le maintien de la sécurité et de la stabilité en Libye », ainsi que « ses efforts pour surveiller et contrôler les frontières avec les pays voisins ». 

Outre Haftar, le commandant de l’AFRICOM et sa délégation ont rencontré à la base aérienne de Benina le secrétaire général du commandement général, le lieutenant général Khairy Al-Tamimi, le chef d’état-major des unités de sécurité, le lieutenant général Khaled Haftar, le chef d’état-major des forces terrestres, le lieutenant général Saddam Haftar, et le chef d’état-major des forces aériennes, le lieutenant général Muhammad Al-Manfour.

La récente rencontre entre des responsables américains et Haftar intervient dans un contexte d’expansion de l’influence de la Russie dans la région, qui préoccupe l’Occident. Les États-Unis ont exprimé à plusieurs reprises leur « inquiétude » quant à la coopération militaire entre les armées russe et libyenne, notamment après la publication d’informations selon lesquelles du matériel militaire serait arrivé dans le port de Tobrouk à bord de deux navires de guerre russes. La Russie a également déployé entre 2 000 et 2 500 membres du personnel Wagner sur différents sites militaires en Libye.

El comandante del Ejército Nacional Libio Khalifa Haftar, el general del Comando África de EE.UU. Michael Langley y el encargado de negocios Jeremy Berndt  - PHOTO/EJÉRCITO NACIONAL LIBIO via REUTERS
Le commandant de l’armée nationale libyenne Khalifa Haftar, le général Michael Langley du commandement américain pour l’Afrique et le chargé d’affaires Jeremy Berndt 

Cette réunion coïncide également avec une crise liée à la gestion de la Banque centrale libyenne qui suscite des craintes au niveau international. Afin de résoudre cette crise, la Mission de soutien des Nations Unies en Libye a lancé une initiative visant à organiser une réunion d’urgence à laquelle participeraient les parties impliquées dans la crise de la Banque centrale de Libye afin de parvenir à un consensus.

Sur fond de guerre économique

Washington a soutenu cette initiative, la qualifiant d’étape qui « ouvre la voie à la résolution de la crise » et encourageant « toutes les parties à saisir cette opportunité ».

Cependant, le Conseil présidentiel libyen a rejeté la proposition de l’ONU, annonçant sa décision de renforcer l’État de droit et d’élire un gouverneur de la Banque centrale intègre et compétent, accompagnée d’une autre décision visant à former un conseil d’administration pour la première fois depuis de nombreuses années.

Pour sa part, le président de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, a assuré que « le flux de pétrole et de gaz continuera d’être empêché jusqu’à ce que le gouverneur de la Banque centrale de Libye reprenne ses fonctions légales – en référence au gouverneur qui a été démis de ses fonctions par le Conseil présidentiel – afin de préserver les richesses du peuple libyen de la manipulation et du vol, et de préserver les capacités du peuple libyen ».

Les différends concernant le contrôle de la banque centrale libyenne mettent en évidence les dangers potentiels d’une mauvaise utilisation des ressources financières du pays, qui proviennent en grande partie des recettes pétrolières.

Lundi, les autorités libyennes de l’est du pays ont décidé d’arrêter la production et les exportations de pétrole jusqu’à nouvel ordre pour protester contre le contrôle exercé par les autorités de Tripoli sur le siège de la Banque centrale de Libye et le limogeage de son gouverneur. L’organe financier basé à Tripoli est au centre des tensions depuis le milieu du mois d’aout entre les gouvernements rivaux.

Contexte de tensions et de méfiance

Mais, derrière les sourires et les poignées de main se cachent des enjeux stratégiques considérables, aussi bien pour la stabilité de la Libye que pour les intérêts américains dans la région. La Libye reste un pays divisé, où les factions se disputent le contrôle du territoire, des ressources et de la légitimité. Le maréchal Khalifa Haftar, à la tête de l’Armée nationale libyenne (ANL), contrôle la majeure partie de l’Est du pays, notamment la région de la Cyrénaïque.

Fort de ses alliances avec des puissances étrangères, Haftar a longtemps été perçu comme un obstacle à l’unification du pays sous une autorité centrale.

Les États-Unis, bien que distants par moments, ont toujours gardé un œil attentif sur l’évolution de la situation en Libye, en particulier à travers Africom, qui coordonne les opérations militaires américaines sur le continent.

Pour Haftar, cette rencontre est l’occasion de renforcer sa légitimité internationale, en se présentant comme un partenaire crédible face à la menace terroriste en Libye et dans la région du Sahel. Haftar sait que le soutien américain, ou du moins une attitude non hostile de Washington, pourrait jouer en sa faveur dans ses ambitions politiques et militaires.